15 August 2011

Simple, Naturel, Intuitif... Retour aux bases : Vers un principe de moindre action pour l'UX Design

Simplicité vs Complexité
Depuis quelques années, la simplicité est un concept qui rencontre un vif succès dans le design de produits et de systèmes interactifs. Il n'est cependant pas rare que ce sujet provoque quelques "frictions" entre acteurs de l'UX Design quand le thème de la complexité revient sur le devant de la scène, comme ici, ici et ici.

Naturel & Intuitif donc évident
Si votre travail consiste à développer des systèmes interactifs qui répondent aux besoins de leur utilisateur et si vous faites bien votre travail, combien de fois avez vous entendu des phrases comme "... ça semble si naturel et intuitif", "...bien sur, c'est tellement évident" ou "pourquoi aurait on fait autrement" ? A vous alors de choisir si vous préférez considérer ces phrases comme un compliment ou comme un jugement sur la très relative difficulté de votre métier. Tout cela amène quand même à se poser une question : se pourrait il que l'UX Design ne soit finalement que l'application de quelques principes privilégiant la simplicité et l'évidence et ne soit donc qu'une activité somme toute pas très compliquée ?

Retour vers le passé : Le principe de moindre action en physique
Le principe de moindre action est un des grand principes régissant les sciences physiques. Il trouve ses racines, vers 1650, dans les travaux de Fermat sur les lois de l'optique. Fermat s'appuie alors sur un principe déclarant que "La nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples". Maupertuis affine ce principe un siècle plus tard et l'étend à toute la mécanique. Il définit le principe suivant: "...lorsqu'il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d'Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu'il soit possible." C'est finalement Lagrange qui donnera quelques années plus tard la formulation mathématique précise de ce principe encore en vigueur de nos jours.

Vers un principe de moindre action pour l'UX Design

Peut on définir pour l'UX Design un principe se rapprochant du principe de moindre action existant en physique ? A défaut d'un formulation mathématique, je vous propose de retenir le principe suivant :

"Toutes choses étant égales par ailleurs, entre plusieurs alternatives permettant d'atteindre un but, une personne choisira l'alternative qui minimise l'effort requis ou qui maximise son confort."

Voici un exemple très simple illustrant ce principe: Les interfaces en ligne de commande (CLI) sont connues pour leur efficacité mais également pour requérir un effort conséquent d'apprentissage et de mémorisation de la part de l'utilisateur. Les interfaces graphiques (GUI) se sont largement généralisées car elles s'appuient sur les capacités cognitives de l'utilisateur pour diminuer l'effort d'apprentissage et de mémorisation nécessaire.

Alors, est ce vraiment si simple ?
Si vous acceptez ce principe, la création d'un bon produit ne parait effectivement pas une activité très compliquée, puisqu'il semble que vous n'ayez qu'à tout miser sur la "fainéantise" de l'utilisateur final pour assurer le succès de votre système. Mais est ce vraiment si simple ? Bien évidemment la réponse est non. Voyons pourquoi en détaillant ce principe.

"atteindre un but"
  • Vous ne pourrez concevoir un bon produit que si vous pouvez définir et comprendre précisemment le(s) objectif(s) visé(s) par l'utilisateur.
"entre plusieurs alternatives permettant d'atteindre un but"
  • Il peut exister plus moyens pour l'utilisateur d'atteindre un but. Certains de ces moyens peuvent même être extérieurs au système que vous concevez.
  • L'atteinte d'un objectif peut être simple ou complexe (composée d'une suite de plusieurs alternatives).
"entre plusieurs alternatives permettant d'atteindre un but, une personne choisira"
  • Le sujet est une personne réalisant un choix. La connaissance et la compréhension de ses connaissances, de ses motivations et de ses modèles cognitifs est un prérequis pour concevoir un bon produit.
  • En tant qu'UX Designer, Ergonome ou Développeur nous ne faisons donc que gratter la surface du problème. Comme certains l'ont déjà souligné, il existe une dimension psychologique, sociale et anthropologique qui devra être prise en compte si nous souhaitons perfectionner les solutions proposées.
  • D'autre part, notez qu'une alternative n'a d'existence que si l'utilisateur est conscient de l'existence de cette alternative pour atteindre le but.
"entre plusieurs alternatives permettant d'atteindre un but, une personne choisira l'alternative qui minimise l'effort requis ou qui maximise son confort"
  • Le choix est une action réalisée à un moment donné et ce choix permet à la personne de minimiser (maximiser) l'effort (le confort) immédiat requis (obtenu).
  • Notez que si le principe de moindre action est un principe qui vise à minimiser l'effort immédiat, l'être humain a cette particularité de pouvoir accepter un effort plus grand si cela lui permet d'atteindre un plus grand confort a posteriori. Cela signifie t'il que notre principe ne s'applique plus et est finalement erroné ? Evidemment non, par contre cela signifie que nous devrons prendre en compte le fait qu'une personne peut temporairement se fixer un objectif premier différent. Si par exemple, une personne décide (ou est obligé) d'apprendre l'usage d'une interface CLI, temporairement son objectif premier n'est plus la copie d'un fichier (ou ce que vous voudrez) mais l'apprentissage et la mémorisation de lignes de commandes. Dans ce cas, l'effort pour atteindre l'objectif final n'est pas minimisé, par contre la personne choisira les alternatives qui lui permettent de minimiser ses efforts à chaque étape:
    • choix de l'alternative qui lui convient le mieux pour apprendre et mémoriser les lignes de commandes (utilisation de l'aide en ligne, utilisation de tutoriaux, ...),
    • choix de la ligne de commande qui lui permet de minimiser l'effort pour accomplir la tache.
"Toutes choses étant égales par ailleurs, ..." (Ceteris Paribus)
  • Vous pourrez appliquer ce principe à l'exclusion de facteurs que vous auriez omis de prendre en compte...

A quoi sert ce principe ?
Remettre certains concepts en perspective
Si nous revenons à nouveau au concept de simplicité, nous voyons maintenant que si la simplicité n'est pas un principe, elle peut être un puissant moyen pour diminuer l'effort cognitif de l'utilisateur. Elle reste donc dans de nombreux cas un moyen privilégié pour répondre à de vrais besoins. De même, si les notions de naturel ou d'intuition ne sont pas des principes, elles n'en demeurent pas moins d'excellents moyens pour tenter de diminuer l'effort cognitif ou physique de l'utilisateur.

Evaluer si votre solution est "mauvaise"
Ce principe sera un outil précieux pour vous aider à détecter que le produit que vous concevez ne rencontrera peut être pas le succès escompté. En effet, si vous vous rendez compte qu'il existe déjà une solution alternative à celle que vous concevez et que cette solution permet d'atteindre le même objectif avec un effort moindre ou un plus grand confort, il y a de fortes chances que votre solution ne soit pas le succès que vous espérez...

Estimer l'opportunité de mettre en oeuvre une solution
Et pourtant une solution a priori moins bonne peut s'avérer encore utile lorsque vous élargissez son cadre d'application. Ainsi, une solution qui parait impliquer un plus grand effort ou apporter moins de confort dans un contexte donné, peut trouver toute sa place dans un autre contexte. Repensez encore une fois à l'exemple des interfaces CLI et GUI. Dans ce cas, l'objectif sera pour vous de déterminer la rentabilité de cette solution au vu de son marché potentiel, mais c'est une autre histoire...

En conclusion
La prochaine fois qu'une personne vous dira que votre solution parait tellement évidente, contentez vous de lui répondre "Ceteris Paribus" avec un beau sourire.

NB : Si vous connaissez un contre-exemple à ce principe, n'hésitez pas à le partager !

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