18 January 2010

Des interfaces naturelles, intuitives ou ludiques ? (1)

Bien que son histoire soit finalement assez récente, le domaine des interfaces homme/machine a déjà connu plusieurs phases de maturation et ne cesse d’évoluer.

Il est fréquent de présenter ces différentes étapes selon le nom ou l’acronyme du paradigme sous tendant l’élaboration des interfaces. Ainsi, on parle d’Interfaces en Ligne de Commande (CLI – Command Line Interfaces) précédant les Interfaces Graphiques (GUI – Graphical User Interfaces) qui seraient elles mêmes aujourd’hui appelées à laisser la place aux Interfaces Utilisateur Naturelles (NUI – Natural User Interfaces), annonciatrices selon certains des XUI (Experience User Interface).

Je vous propose, dans ce billet, de faire un rapide tour des différents paradigmes avant de nous interroger sur la notion d’Interfaces Utilisateurs Naturelles. Dans le prochain billet, nous parlerons de la notion d’ « Interface Utilisateur Ludique » telle que je la définis pour mes travaux, en complément de la notion de NUI.

CLI ou le plaisir de commander...
Au début étaient donc les Command Line Interface. L’utilisateur interagit avec le système par le biais de « commandes » saisies à l’aide d’un clavier. Le système reçoit, analyse et exécute la commande avant de redonner la main à l’utilisateur.

Exemple d’interface CLI (image Wikipedia)

Ainsi va la vie du nouveau couple que forment l’utilisateur et sa machine au début des années 60. Le principal problème est que le système CLI est un conjoint capricieux, exigeant que l’on s’adresse à lui en y mettant les formes (qu’il impose). Il ne tolère que très peu la fantaisie et la nouveauté. Un vrai tue-l’amour.

Pour le dire autrement, les systèmes CLI se veulent codifiés, stricts, peu flexibles et nécessitent un apprentissage les réservant au final à un public ciblé et qualifié.

GUI/WIMP ou l"art de filer la métaphore pour filer le "parfait" amour...
Suivant les travaux précurseurs d’Ivan Sutherland et de Douglas Engelbart, les chercheurs du Xerox Parc mettent au point dans le courant des années 70 le Xerox Alto Computer, jetant les bases d’un nouveau paradigme d’interface homme / machine que nous utilisons encore aujourd’hui sur nos ordinateurs : les Graphical User Interfaces.
Exemple d’interface GUI/WIMP (image Wikipedia)

Véritable petite révolution copernicienne pour les interfaces homme / machine, les GUI sont indissociables :
  •  d’objets visuels et graphiques venant se substituer aux séquences de caractères des CLI.
  • de la notion centrale de métaphore. Les objets visuels de l’interface sont conçus comme des métaphores d’objets du monde réel (le bureau, les dossiers, les fichiers, la poubelle, …). Comme tout le monde l’aura deviné, la métaphore retenue est celle de la vie au bureau…
  • de dispositifs d’interaction venant compléter l’utilisation du clavier sous la forme de systèmes de pointage mono-point (le plus célèbre d’entre eux étant la souris).
Ce système d’IHM que nous connaissons tous est également souvent présenté sous l’acronyme WIMP (Window, Icon, Menu, Pointer – Fenêtre, Icône, Menu, Pointeur) en référence à ses briques constitutives.

L’un des apports majeur des systèmes GUI/WIMP est qu’ils proposent des dispositifs dont l’apprentissage est accéléré et qu’ils favorisent la découverte du système par l’utilisateur.


NUI ou chassez le naturel, il revient au galop...
La récente mise au devant de la scène des dispositifs multitouch a popularisé un nouvel acronyme, résumant la nouvelle étape dans laquelle rentre le monde des interfaces homme / machine : NUI (Natural User Interfaces).

Les systèmes NUI poussent la métaphore un peu plus loin en stipulant que l’interaction ne passe plus par un objet médiateur (la souris et son pointeur visuel) mais doit devenir plus directe et plus intuitive. Par exemple, l’utilisateur interagit avec les objets numériques par manipulation directe ou par le biais de gestuelles utilisant à cette fin ses mains, ses doigts, ....

Parmi de nombreux exemples de réalisations, la table Surface de Microsoft est assez emblématique de ce nouveau type d’interfaces homme / machine.
La table Microsoft Surface (image Microsoft corp.)

Les questions auxquelles il faut répondre pour définir ce nouveau modèle sont nombreuses mais passionnantes : L’utilisation d’une métaphore unique (le bureau) pour nos interfaces a-t-elle encore un sens alors que de plus en plus de nos ordinateurs sont utilisés dans un contexte non professionnel ? Quels sont les principes ergonomiques fondant ces nouvelles interfaces? Comment continuer à accélérer l’apprentissage et la prise en main du système par l’utilisateur ? …

Des interfaces naturelles et intuitives ?
 
Travaillant depuis des années à la définition et la création d’applications informatiques (que ce soit sur le web ou en multitouch), je crois pouvoir dire que je comprends l’idée d’interfaces et d’interactions plus naturelles, plus intuitives… Je dirais même que j’y souscris avec une grande part d’enthousiasme.
Mais je dois avouer que j’ai aussi toujours ressenti une légère « incompréhension » par rapport à ces termes. Concevoir une application pour des utilisateurs expérimentés (ou qui tout du moins bénéficieront d’une formation adéquate) n’a que peu à voir avec la conception d’une application pour le grand public, devant être utilisable tout de suite, sans formation préalable. Dans ces conditions, que peut on considérer comme naturel ou intuitif ? Ce qui est naturel ou intuitif pour une personne l’est il pour une autre ?
Tout le monde sera a peu près d’accord pour dire que faire tourner une photo sur un écran à l’aide de 2 doigts peut être qualifié de « relativement » intuitif, cette manipulation étant facilement reproductible dans le monde de tous les jours. Mais repensez à Tom Cruise devant son écran dans le film Minority Report.



Peut-on encore vraiment qualifier ce Corporate Tai Chi de naturel et intuitif ?
Je recommande vivement la lecture d’un post récent écrit par Nicolas Roussel sur le sujet et de l’extrait du livre de Jef Raskin qu’il contient. Les arguments de J.Raskin sont plus que pertinents et utiles.
Une discussion récente avec Joshua Blake, consultant chez Infostrat et grand enthousiaste des NUI, sur le rapport entre les notions de « gestuelles » et de « naturel » m’a convaincu d’un certain nombre de points sur le sujet :

- Le principal problème du terme « naturel » est qu’il recouvre plusieurs sens :
  • SENS PREMIER : Est naturelle, une chose relative à la nature, à l’ensemble des êtres et des choses. Selon ce sens, une chose naturelle est liée à notre condition d’être humain, d’animal, « d’objet physique », …
  • SENS COMMUN : Est naturelle, une chose que nous faisons en conséquence de nos habitudes. Selon ce sens, une chose naturelle est liée à notre expérience passée, à notre apprentissage. 
- En tant que développeurs, designers, experts en interaction homme / machine nous devrions attacher une importance primordiale au SENS COMMUN du terme pour concevoir nos applications multitouch. En effet, la plupart de nos activités quotidiennes sont rendues possibles par des apprentissages passés et non pas en raison de notre condition.

- Garder à l’esprit cette définition, nous oblige à perpétuellement nous interroger durant nos travaux :
  • Pourquoi suis-je convaincu que cette gestuelle (manipulation, métaphore, …) est naturelle ?
  • Quand ai-je appris à faire ceci ?
  • Comment ai-je appris à faire ceci ?
  • Cela sera-t-il naturel aux utilisateurs finaux ? (Qui sont les utilisateurs finaux ? Ont-ils déjà appris à faire ceci ? Auront-ils à apprendre à faire ceci ? Quelle sera la durée d'apprentissage ?
- Comme l’écrivait Jef Raskin, un bon indicateur pour mesurer le degré de naturel (SENS COMMUN) est la durée d’apprentissage, indicateur qui a l’avantage d’être un critère objectif et clairement quantifiable.

Dans le prochain billet, nous parlerons d’Interfaces Utilisateur Ludiques.

Sources 
 - Pour tous ceux que le sujet intéresse, l’évolution des interfaces homme/machine présentée dans ce post est inspirée d’une conférence, donnée en 2008 par August de Los Reyes, Principal Experience Architect Microsoft,que dont vous pourrez trouver des éléments ici et ici.
- Concernant l’importance de l’apprentissage (ce que j’ai appelé Naturel au SENS COMMUN), je vous recommande la conférence de Bill Buxton, Principal Researcher Microsoft, au CES 2010.
 

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Summary / Key points
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- First part of this post is a short introduction to user interface paradigms (past, present or future) : CLI, GUI/WIMP, NUI and XUI.
This introduction is inspired by August de Los Reyes's talk (Principal Experience Architect Microsoft) at MIX2008 : more here and here.

- As a developer (web and multitouch) I think I can say I'm a NUI enthusiast but I've always been a bit puzzled by main principles of NUI (natural and intuitive).
I know building a specific application for power users (who will get a specific training before using this app) is quite different from building an application for general public (users will use application, immediately, without any previous training). So, what can be considered as natural and intuitive ? Can we really consider that something natural and intuitive for someone will be natural and intuitive for someone else ?

- I recommand this blog post written by Nicolas Roussel. It contains a usefull extract from a book written by Jef Raskin.

- A recent discussion  with Joshua Blake about terms "gestures" and "natural" convinced me that :

  • The key point is that Natural means 2 different things :
            - MAIN SENSE : something related to nature, to all beings or to all things.
            - COMMON SENSE : something we've learned and we're used to do.

  • Most of human activities are possible because of our skills (COMMON SENSE) and not because of our natural condition (MAIN SENSE). Remembering we work (as software designers, HCI experts, ...) on skills (COMMON SENSE) will be the key to define good natural UI. 
  • If we remember this, we'll have to ask ourselves at every moment :
            - why do I think this gesture (manipulation, ...) is natural ?
            - when did I learn to do this ?
            - how did I learn to do this ?
            - will it be natural for end users ? (Who are my end users ? Did they learn to do this ? Will they have to learn it ? How long will be training ?)

  • As written by Jef Raskin, a good indicator to measure naturalness is learning time, because it's an objective and measurable indicator.

- Bill Buxton's talk at CES 2010 for specific insight about skills.


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