25 January 2010

Des interfaces naturelles, intuitives ou ludiques ? (2)

« L’art et les jeux nous permettent de nous soustraire aux pressions matérielles de la routine et de la convention, d’observer et de questionner. Il n’y a pas de rôle ou d’emploi capables comme les jeux, en tant que forme d’art populaire, de donner à quiconque un moyen direct de participer à la vie entière d’une société. »
Pour comprendre les media - Marshall  Mc Luhan


Pour les travaux que je réalise sur les applications multitouch, j’aime beaucoup me rapporter au terme d’ « Interface Utilisateur Ludique ». La première raison est que « ludique » est souvent le mot employé par les personnes qui expérimentent pour la première fois un dispositif multitouch. Au-delà de ce constat, que je serais bien tenté d’associer à l’effet de nouveauté, j’aime utiliser le terme pour le sens qu’il porte : est ludique ce qui a rapport au jeu.

Est donc (selon moi) une Interface Utilisateur Ludique, un dispositif :
  • répondant à des règles reconnues et partagées par tous ses utilisateurs,
  • dont l’apprentissage des règles est rapide,
  • dont l’expérience est agréable,
  • dont l’expérience permet et encourage l’exploration de nouveaux schémas. 
Cette définition ne signifie en rien que l’usage de telles interfaces est limité à des finalités ludiques : l’expérience d’utilisation d’une interface est une chose, la finalité d’utilisation du système en est une autre. Ludique n’est pas antinomique de productif, bien au contraire.

Si vous vous demandez à quoi peut bien ressembler une Interface Utilisateur Ludique, je dirais que l’Iphone d’Apple me parait un assez bon exemple d’une première génération de telles interfaces :
  • Son utilisation ne nécessite que quelques manipulations/gestuelles dont l’apprentissage est rapide, y compris pour les utilisateurs les moins technophiles.
  • L’expérience utilisateur est agréable : je connais peu d’utilisateurs d’Iphone qui soient prêts à faire marche arrière et à revenir à l’utilisation de leur ancien téléphone portable.
  • Par la forme de son offre applicative, l’Iphone encourage l’exploration de nouveaux schémas d’expérience. En voyage dans une ville inconnue, vous êtes à la recherche d'un bar que l'on vous a recommandé. Grace à son GPS et à l’application GoogleMaps, le téléphone vous indique ou vous vous trouvez et comment vous rendre jusqu'au bar tant désiré. Accoudé au comptoir, vous sirotez un mojito bien mérité, quand vous entendez une chanson que vous ne connaissez pas mais qui vous plait bien. Grâce à l’application Shazam, vous obtenez en quelques secondes le titre de la chanson. Les applications de l’Iphone couvrent souvent un périmètre fonctionnel réduit (des sortes d’haïkus logiciels) mais enrichissent l’expérience de l’utilisateur et idéalement s’adaptent à différents contextes d’utilisation.
 
GoogleMaps sur Iphone

Un autre dispositif que je serais tenté de qualifier de Ludique est Twitter :
  • Son utilisation ne nécessite qu’un nombre très limité de règles dont l’apprentissage est très rapide (Twitter, Répondre, Retwitter, …).
  • L’expérience utilisateur est agréable, notamment en raison de la souplesse qu’elle autorise.
  • L’expérience du dispositif permet à l’utilisateur d’explorer de nouveaux schémas extrêmement variés. On peut ainsi utiliser Twitter pour rester en contact avec ses amis, pour faire de la veille technologique,  pour de la communication d’entreprise, pour l’organisation d’évènements, pour témoigner d’évènements politiques ou sociaux, …

Mais le meilleur exemple d’Interface Utilisateur Ludique que je puisse trouver reste quand même les briques Lego :
  • Son utilisation ne nécessite l’apprentissage que d’une seule règle très rapide à appréhender : les briques peuvent être connectées grâce au système de plots.
  • L’expérience utilisateur est agréable (bon, je concède surtout au petit garçons et à leurs pères).
  • L’expérience du dispositif permet d’explorer de nouveaux schémas. L’utilisateur peut se limiter à construire le modèle présenté sur la boite,  mais il peut également recombiner les briques contenues dans la boite pour construire un nouveau modèle. Il peut enfin recombiner les briques de plusieurs boites pour construire un modèle plus complexe.
 
Escher's "Relativity" in LEGO (Copyright © A. Lipson 2003)
 
Intérêt du terme d'Interface Utilisateur Ludique
A mon sens, l’intérêt du terme « Interface Utilisateur Ludique » est triple :
  • il permet de lever l’ambiguïté « marketing » du mot naturel  utilisé dans le terme NUI en mettant l’accent sur l’apprentissage,
  • il place l’utilisateur au centre des réflexions pour la conception des applications,
  • il porte en lui une invitation à revoir la façon dont nous concevons nos applications en adoptant une approche plus modulaire et plus « mashupable » (euh oui je sais, il n’existe pas ce mot :D).

Mesure des caractéristiques d'une Interface Utilisateur Ludique
Peut on mesurer objectivement les caractéristiques d’une telle interface ?
  • "Elle doit répondre à des règles reconnues et partagées par tous ses utilisateurs" : oui en demandant  à  l’utilisateur de réaliser une tache donnée et en mesurant l’aptitude de l’utilisateur à réaliser cette tache.
  • "L’apprentissage des règles est rapide" : oui en mesurant la durée d’apprentissage des règles.
  • "L’expérience est agréable" : oui même si il faut reconnaitre qu’ici la mesure parait plus compliquée. Comment mesurer objectivement quelque chose de subjectif comme le plaisir ? Je serais assez tenté de proposer un système de « mesure différentielle »  sur le même principe que la mesure de la douleur en médecine. On ne peut pas mesurer la douleur sous forme d’un indice objectif, mais en demandant au patient d’attribuer une valeur entre 1 et 10 à sa douleur et en observant l’évolution de cette valeur, il devient possible de connaitre l’évolution de la douleur chez le patient, l’effet d’un traitement sur la douleur ressentie, … De manière similaire, on peut soumettre plusieurs variantes d’une même fonction, d’une même interaction aux utilisateurs, en leur demandant d’évaluer chaque variante. Au-delà des valeurs précises, il devient possible de mesurer les variations de notes entre 2 variantes afin de déterminer si une tendance claire en ressort.
  • "L’expérience permet et encourage l’exploration de nouveaux schémas" : peut être existe-t-il des métriques adaptées mais dans mon esprit ce point est plutôt une invitation à concevoir l’architecture et les fonctionnalités de nos applications selon de nouveaux schémas.

En conclusion, l’expression « Interface Utilisateur Ludique » n’est surement pas parfaite mais elle me semble tout de même être un bon support pour la création d'interfaces conviviales et utiles, notamment sur surfaces multitouch.


Sources
Pour ceux que le sujet intéresse, il existe depuis peu un programme d’enseignement et de recherche en Europe sur les Ludic Interfaces. La définition générale donnée à ces Ludic Interfaces est la suivante :
The tools and concepts applied with the concept of ludic interfaces differ from traditional technological systems as they are playful, user-generated and user-driven, flexible, low-cost and cooperative. Ludic interfaces take the best from computer games, artistic experiment, interactive media, media conversion, social networks and modding cultures and result in tools that offer an ease of use and playfulness to cope with a rapidly changing society.
En dehors du fait que la durée d’apprentissage et la facilité d’utilisation me semblent plus être des prérequis que des résultantes, je ne vois pas comment je pourrai le dire mieux.


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Summary / Key points
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- For my works on multitouch software, I like using term “Ludic User Interface” (or “Fun User Interface”) as a complement to NUI. “Fun” is a word often used by persons experimenting a multitouch device for first time (Wow effect ?). But main reason for using this term is the sense of word “ludic” : which is related to play.

- So, according to me, a Ludic User Interface is a device defined by :
  • its rules are accepted and shared by all users,
  • its rules are learned quickly,
  • it offers an enjoyable experience,
  • it allows and encourages exploration of new patterns.
-  Best example of Ludic User Interface are Lego building bricks :
  • a unique rule has to be learned (quickly) : how to connect bricks,
  • experience of game is playful and enjoyable,
  • bricks allow exploration of new patterns. Using bricks contained in a Lego box you can build model showed on the box. But you can also use these bricks to build a new model you’ve imagined. Furthermore, you can use bricks from several Lego boxes to build a more complex model.
- Some others examples of Ludic User Interfaces are Apple Iphone and Twitter.

- Advantages of using this term are :
  • less ambiguous than term “Natural” (especially when used by marketing) since it’s focused on skills and learning curve,
  • focus on user experience,
  • it’s an invitation to design more modular, flexible, “mashupable” applications.
- Is it possible to measure these characteristics in objective way ?
  • "Rules are accepted and shared by all users" : Measure user ability to realize tasks.
  • "Rules are learned quickly" : Measure learning time.
  • "Enjoyable experience" : More difficult to measure since pleasure is subjective. I propose to use a “differential technique” quite similar to the measure of pain by medicine. During tests, users experiment and rate different alternative solutions for a functionality/interaction. Instead of focusing on values, we’ll focus on variations of values between alternative solutions.
  • "Allows and encourages exploration of new patterns" : I don’t know existing measures for this but may be we could define some.
- If you’re interested in this subject : A european academic program has been recently created about Ludic Interfaces. Definition of Ludic interfaces is :
The tools and concepts applied with the concept of ludic interfaces differ from traditional technological systems as they are playful, user-generated and user-driven, flexible, low-cost and cooperative. Ludic interfaces take the best from computer games, artistic experiment, interactive media, media conversion, social networks and modding cultures and result in tools that offer an ease of use and playfulness to cope with a rapidly changing society.
Except than, according to me, ease of use and short learning time is a prerequisite and not a result, I couldn’t find a better definition.

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